Les drogues dans l'histoire: rien de nouveau sous le soleil !
L'ingestion de drogues dites psychotropes est un phénomène très répandu
dans notre civilisation moderne. Ce phénomène n'est pas nouveau. De
multiples témoignages prouvent que cette pratique existe depuis
l'Antiquité, sous diverses formes et dans les cultures les plus diverses.
En Occident, jusque dans les années 60, l'ingestion de certaines drogues
était réservé aux milieux plutôt marginaux.
Le plus ancien témoignage concernant les drogues dites hallucinogènes
remonte à 2737 av. J.-C. L'empereur chinois Shen Nang montre son grand
savoir sur le cannabis et ses propriétés dans un livre consacré à la
pharmacologie. Déjà à cette époque, l'usage de cette drogue trouble les
moralistes chinois. Le cannabis est considéré par plusieurs comme le
"libérateur du péché" et par d'autres comme "celui qui apporte la joie”.
En Inde, les prêtres attribuent une origine divine au chanvre qui
proviendrait de la métamorphose des poils du dos de Vichnou. Il désigne
cette plante sous les noms de Vajahia, source de bonheur et de succès, et
de Anada qui produit la vie. En Perse et en Inde, on continue de consommer
le haschich, considéré comme la source de toute volupté, sous le nom de
bhang .
En Inde, la drogue est traditionnellement liée à la spiritualité. Gordon
Wasson, mycologue américain, affirme que le Rig-Veda consacre au moins le
dixième de ses mille psaumes au dieu/plante sôma. Il est évident que
l'extase produite par ces expériences conduit loin des notions judéo-
chrétiennes de culpabilité de l'homme devant Dieu. L'ivresse ainsi produite
serait intrinsèquement liée à la métaphysique hindoue. C'est l'opinion de
Hans Rookmaaker, qui écrit: "Le but que vise un intoxiqué... est très
similaire à ceux des religions orientales." C'est la recherche du néant.
C'est aussi ce qu'affirme G. Andrews:
La plupart des dieux étaient indulgents. Les sacrifices pour la culpabilité
et la reconnaissance, comme ceux qui étaient offerts par les anciens
Hébreux, étaient presque inconnus dans le Veda. Néanmoins, la cérémonie
religieuse a dû avoir des éléments de crainte et d'émerveillement. Les
adorateurs, enivrés de sôma, avaient des visions merveilleuses des dieux;
ils ressentaient des sensations étranges de puissance; ils pouvaient
toucher le ciel; ils devenaient immortels; ils étaient eux-mêmes comme des
dieux.
En Occident, on trouve également des témoignages confirmant l'usage des
drogues avec des motivations magico-religieuses. Dans la Grèce antique, des
gens se livraient à un genre de "divination chresmologique" à l'aide de
plantes/drogues, comme le pavot.
Le déclin de l'Empire d'Occident s'est accompagné, chez les Romains, de
pratiques occultes apportées par les invasions barbares, dont "l'ingestion
de breuvages qui troublaient les sens, ainsi que la composition de poisons
subtils".
Au Mexique, à l'époque des conquêtes espagnoles, un grand nombre de
plantes, dont le peyotl, sont utilisées pour communiquer avec les dieux, en
entrant en transes. Des pratiques semblables sont également répandues chez
les Indiens d'Amérique du Nord, les Mazatèques, par exemple, qui croient
que leur drogue, le peyotl, est un don de Dieu.
Dans le monde musulman, le qat est utilisé au Yémen par les religieux dès
le XIVe siècle. Il leur permet de lutter contre le sommeil pendant leurs
longues nuits de prière. Ce produit, qui ne suscite pas de perte de
contrôle physique ou mental, a également la réputation d'augmenter le
pouvoir de contemplation et de renforcer la communication avec Dieu. Selon
Sheilagh Weir, les mystiques soufis de la doctrine shaféite croyaient que
le qat facilite l'extase et le considéraient comme un don divin.
En Europe, on trouve également le recours à la drogue avec le cas célèbre
de l'épouse de l'astronome allemand J. Kepler, qui est mise à mort, durant
les purges anti sorciers des années 1615 à 1629, pour avoir distribué des
drogues soporifiques et hallucinogènes.
A l'époque moderne, le poète marquis Stanislas de Guaita (1860-1898), qui
s'est passionné pour la magie, s'est servi de cocaïne et de haschich parce
qu'ils l'aidaient à quitter son corps physique et à explorer les mystères
de la conscience dans son corps astral.
En bref, il est légitime de conclure que l'ingestion de certaines drogues
est associée, depuis l'Antiquité, à des modifications de l'état de
conscience des personnes et souvent assimilée à des expériences dites
religieuses.
Quelques définitions
En français, le terme " drogue " peut prendre différents sens. Au XIXème
siècle, il s'appliquait aux préparations faites par les apothicaires.
Progressivement, ce mot a pris une connotation péjorative, désignant, par
opposition aux médicaments, les substances dont la capacité à guérir est
douteuse ou qui sont susceptibles d'être utilisées dans la recherche de
plaisir.
Dans le langage courant actuel, la drogue est souvent associée aux seuls
produits illicites classés comme stupéfiants. Cette acception du terme est
celle des juristes, des policiers et des magistrats. Les médecins
cliniciens classent, quant à eux, les substances en fonction des capacités
à induire une dépendance et à nuire à la santé mentale et physique des
patients. Un spécialiste des produits toxiques différencie les produits en
fonction de leur toxicité intrinsèque, indépendamment des risques de
dépendance et des conséquences de celles-ci sur la santé et la vie en
société. L'ambiguïté de ce mot rend le débat difficile et il apparaît
nécessaire, au préalable, de le définir le plus précisément possible.
Les définitions des dictionnaires actuels font référence au caractère
toxique des " drogues " (" Substances toxiques, stupéfiants " selon
le grand Robert ) et à la dépendance qu'elles engendrent (" Substance
psychotrope naturelle ou synthétique, qui conduit au désir de continuer de
consommer pour retrouver la sensation de bien être qu'elle procure " selon
le Grand Larousse Universel.) On retrouve les mêmes éléments de définition
dans les ouvrages plus spécialisés. Le dictionnaire des drogues, des
toxicomanies et de la dépendance définit la drogue comme une " substance
psychoactive prêtant à une consommation abusive et pouvant entraîner des
manifestations de dépendance ". Selon l'ouvrage de référence d'Inaba et de
Cohen sur les excitants, calmants et hallucinogènes, peut être considéré
comme une drogue " toute substance qui entraîne des distorsions de
fonctionnement du système nerveux central ".
Cet effort de clarification conduit donc à deux acceptions de ce mot. La
première est très large, de type toxicologique, et correspond à la dernière
définition citée. Un grand nombre de médicaments se trouveraient alors
inclus parmi les drogues. La seconde, plus restreinte, est fondée sur la
notion de dépendance, terme lui-même défini par la communauté scientifique
internationale. Nous retiendrons la définition suivante : une drogue est un
produit naturel ou synthétique, dont l'usage peut être légal ou non,
consommé en vue de modifier l' état de conscience et ayant un potentiel
d'usage nocif, d'abus ou de dépendance. Cette définition inclut : les
stupéfiants, les substances psychotropes, l'alcool, le tabac, les colles et
solvants, les champignons hallucinogènes et les substances de synthèse non
encore classées. Elle exclut les substances vitales (eau, air), le café, le
chocolat, les médicaments psychoactifs non utilisés pour modifier les'états
de conscience. S'appuyant sur cette définition, et par convention, le terme
"drogues" au pluriel (ou "produits psychoactifs") couvre l'ensemble des
produits pris en compte dans ce livret ; il comprend les sous-ensembles
suivants : l'alcool, le tabac, les médicaments psychoactifs et les drogues
illicites. Les médicaments psychoactifs sont classés selon quatre
catégories : les hypnotiques, les neuroleptiques, les anxiolytiques et les
antidépresseurs. Les drogues illicites comprennent les produits stupéfiants
et certains produits non classés comme stupéfiants et détournés de leur
usage normal (colle, solvants, champignons hallucinogènes, substances de
synthèse, médicaments détournés...).
Les comportements d'usage
On distingue trois catégories de comportements : l'usage, l'usage nocif, la
dépendance. Ces distinctions sont communes au milieu scientifique
international. Elles reposent sur les définitions de l'Organisation
mondiale de la santé et de l'Association américaine de psychiatrie .
L'usage est entendu comme une consommation qui n'entraîne pas de dommages.
Cette consommation peut varier dans son intensité et peut être qualifiée
d'expérimentale, d'occasionnelle ou de régulière. L'usage nocif (ou abus)
est entendu comme une consommation qui implique, ou peut impliquer, des
dommages. Ces derniers peuvent être de nature sanitaire (somatique ou
psychique), sociale (incapacité de remplir des obligations : au travail, à
l'école, en famille, etc.) ou judiciaire. Ils peuvent être causés par
l'usager à lui-même ou à un tiers.
La dépendance est entendue comme un comportement psychopathologique
présentant des caractéristiques biologiques, psychologiques et sociales.
Les principaux critères contribuant à sa définition sont : le désir
compulsif de produit, la difficulté du contrôle de la consommation, la
prise de produit pour éviter le syndrome de sevrage, le besoin d'augmenter
les doses pour atteindre le même effet, la place centrale prise par le
produit dans la vie du consommateur.
Ces définitions internationales, élaborées dans une perspective clinique,
posent problème sur certains plans. Ainsi, certains usages dangereux mais
ponctuels ne sont pas pris en compte sous le concept d'abus. De même la
définition de la dépendance peut être largement discutée. De plus, ces
concepts sont difficilement pris en compte par la statistique. Dans ce
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